Robert DESNOS, Ce coeur qui haissait la guerre
Petit rappel sur la poésie engagée :
- Le poète engagé prend conscience de son appartenance à une communauté et à son temps. Il renonce à devenir spectateur pour s'engager et devenir acteur : il met sa pensée et son art au service d'une cause.
- La poésie engagée est ancrée dans la réalité et dans l'Histoire : elle comporte donc des références spatiales et surtout temporelles concrètes et vérifiables.
- Dans une démarche argumentative, elle utilise des symboles, des personnifications, des allégories...
- Le but du poète engagé est de révéler la réalité, témoigner, dénoncer, transmettre un message d'espoir, persuader le lecteur d'adhérer à une cause, défendre des valeurs universelles, inciter à l'action, appeler au souvenir...
- Pour cela, le poète veut toucher le lecteur : - susciter une émotion, une indignation... - toucher son esprit : le faire réfléchir...
1 ) Indices de l'énonciation :
"je", "me", "le mien" (au milieu du texte, fin de la première strophe) : le poète tient un discours, s'adresse au lecteur, à un auditoire (impératif " Ecoutez ") ! Le démonstratif "ce" semble impliquer le coeur du poète. Le narrateur apparait au coeur du texte puis semble s'évanouir parmi des "millions d'autres coeurs" tout en s'y comparant.
2 ) Passage d'un sentiment individuel à un sentiment collectif :
" les échos", "d'autres coeurs battant comme le mien" : le poéte est en union avec ces "autres coeurs" dans un même mouvement vers la liberté. Progression : " ce coeur", "ces coeurs", "ces millions d'autres coeurs" (gradation): on est dans un mouvement d'amplification. Le passage du singulier au pluriel entre le premier et le dernier vers souligne l'importance de l'aspect collectif.
3 ) Le poème bâti sur des répétitions :
" ce coeur qui haissait la guerre", "ce coeur qui ne battait plus", "ces coeurs qui haissaient la guerre" (anaphore "ce coeur qui..."): des répétitions, des parallelismes, un refrain s'installe, une structure identique est répétée au premier et au dernier vers. On peut remarquer l'imprtance du symbole du coeur : il représente la vie et les sentiments (l'amour/la haine, la vie/la mort). Enfin, nous pouvons remarquer un polyptote des dérivés du verbe battre : bat, combat, bataille, battait, battant...
Les mots et les structures répétés prennent une force qui exprime la révolte collective
4 ) Le vers qui reprend la thèse de l'auteur :
"Révolte contre Hitler et mort à ses partisans" : vers le plus bref, le plus percutant.
Message clair et résolution du dilemme : il faut se révolter et s'armer même si l'on est pacifiste pour reconquérir sa liberté : "mot (...) Révolte" et "même mot Liberté". Valeurs qui unissent et rassemblent. implicitement, Desnons appelle les valeurs fondamentales de la République (le texte paraît un 14 Juillet). Il faut redonner espoir aux compatriotes : rébellion et résistance.
5 ) Caractère argumentatif :
La poésie engagée a une valeur argumentative : quels sont ces caractères dans ce texte ? Connecteurs logiques : "mais non" (dénégation) ; "pourtant", "mais" (l'objection), "et" (l'adjonction), "car" (explication). Le poète est dans une démonstration mais la thèse est implicite: "haïr la guerre" opposé à "se battre pour la paix".
Le poète semble tenir un discours de chef de guerre, il remonte ses troupes avant l'assaut.
6 )Temps verbaux :
Deux temps dominent le texte : le présent et l'impaarfait : en particulier sur un verbe réccurent : battre.
L'imparfait exprime plutôt la paix et évoque les battements du coeur qui ponctuent la vie ; le refus du combat.
Le présent prend l'aspect de la constation et de l'observation : c'est le temps de la guerre et de l'engagement, le poète s'affirme et élargit sa volonté à la collectivité.
7 ) Musicalité et technique poétique :
Il ya des mots-clés recurrents : "coeur", "battre", "marées", "saisons" : aspect cyclique qui s'accélère dans les énoncés au présent et ralentit à l'imparfait. L'oxymore "coeur/haïr" exprime un dilemme. Allitération au vers 1 en -ba souligne la dureté du combat. Le mot d'ordre semble une phrase de propagande. Le corps est comparé à une machine de guerre ( "un bruit dans la cervelle", "oreilles qui sifflent", "sang brûlant de salpêtre et de haine", "pour la même besogne tous ces coeurs", "leur bruit"). Vocabulaire choisi : "réveiller", "se préparer", "l'aube proche" : la libération arrive. Hyperbole "la mer à l'assaut des falaises" : la mer déchaînée compare la communauté. Un vocabulaire violent : militaire et guerrier. L'importance de la dimension collective : ville, campagne, France, Français, millions...)
8 ) Ponctuation, tonalité et structure :
Ni rime ni vers réguliers. Alternance d'énoncés courts et d'énoncés longs. Phrases exclamatives. Ensemble qui exprime un mouvement de va-et-vient identifiableà un battement de coeur. Rapide et court, long et ample : rythme cardiaque sous l'émotion ! ("rythme des marées, rythmes des saisons")
Tonalité lyrique : présence du "je", implication du locuteur mais peu exprimée dans la longueur du texte. Utilisation de la modalisation : expression des sentiments, des doutes et des opinions du narrateur : il est sensible à ce qu'il énonce et le fait savoir au lecteur. Il fait part de son émotion.
9 ) Champs lexicaux :
la nature : "saisons", "marées", "jour", "nuit", "heures" : les cycles de la vie.
rythmes et sons : "bruit", "écho", "sifflent", "son d'une cloche" : l'appel universel à la révolte.
la vie organique : "sang", "cervelle", "veines", "oreilles", "coeurs" : le corps dans une présentation crue et naturelle.
le combat : un polyptote : "bat", "combat", "bataille", "battait", "battant"... impressionde martèlement dans une connotation guerrière renforcée par un vocabulaire de révolte : "guerre", "salpêtre", "émeute", "assaut", "révolte", "vieilles colères".
Conclusion :
Ce poème clandestin paru le 14 Juillet 1943 incite clairement à la Résistance armée et au combat. Il semble plaider pour une humanité libre et pour une lutte indiscutable pour la paix. Il faut haïr la guerre mais ne pas hésiter à utiliser ses méthodes pour s'en libérer. Le poète semble résoudre le dilemme initial : même placé devant un choix difficile, rien ne peut s'opposer à la Liberté.