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Analyse

  • Strophes pour se souvenir

    Strophes pour se souvenir, 1956, Louis Aragon.

    Paru dans le Roman Inachevé, sorte d'autobiographie poétique : ouvrage qui connaît un vif succès.

    1 ) La forme du texte :

    7 quintils, 2 rimes dans chaque strophe mais présence continue dans le texte de la rine - an {ã} (évoque Manouchian ?). Les vers sont libres mais d'une apparente régularité : forme assez classique et accessible malgré l'absence de ponctuation ; on est loin de l'hermétisme surréaliste. La structure du texte se dessine clairement : strophe 1 : le souvenir ; strophe 2 ; l'affiche et son rôle ; strophe 3 : le poète s'oppose à l'Affiche. Dernière strophe : un sacrifice qui change le monde.

    2 ) Rappel du contexte historique et référentiel :

    le point de départ, c'est l'Affiche rouge parue sur les murs de Paris puis des autres villes le 21 février 1944 tirées à 150 000 exemplaires qui font état de l'éxécution de 23 FTP à Suresnes au Mont-Valérien. Les Nazis veulent montrer que la Résistance qui s'organise et qui pose des problèmes face aux forces de repression n'est que du banditisme. La couleur rouge agressive et effrayante insiste sur l'aspect criminel des FTP éxécutés. Les photos des FTP arrêtés avec leurs noms, nationalités et activités veulent convaincre de l'identité subversive des criminels parce qu'ils ne sont pas Français. Le texte et le slogan de propagande ont un aspect démonstratif avec l'exclamation et l'interrogation. Les photos en bas sont violentes et veulent prouver qu'ils sont terroristes.

    3 ) Les énonciations dans le poème : il y a trois énonciations.
    vers 1 à 18 : le poète s'adresse aux résistants ( "nos villes" -> "vous"). Quand ? en 1956, c'est l'appel au souvenir.
    vers 19 à 30 : le résistant s'adresse à Mélinée : reprise d'une lettre de Manouchian avant son éxécution.
    vers 31 à la fin : le poète n'est plus présent : récit à la 3ème pers du pluriel : le recul de l'auteur et la conclusion.

    4 ) Quels éléments de l'Affiche rouge sont repris dans ce texte ?
    vers 6 : "vos portraits" : ce sont les photos de l'Affiche présentées sous un jour négatif : "noirs", "hirsutes", "menaçants" : chercher à provoquer l'inquiétude. Les photos sont choisies arbitrairement : la violence est l'effet recherché par les propagandistes. "Tâche de sang" : la couleur rouge de l'affiche( le crime, le sang et la Résistance) "vos noms sont difficiles"... les noms sur l'affiche.

    5 ) Quelle interprétation en fait le poète ?

    Le poète dénonce la volonté d'effrayer des nazis : ils veulent convaincre les passants que la Résistance n'est que du terrorisme et de la criminalité. Il dénonce : - les portraits présentés comme angoissants ; - le poète évoque la couleur rouge : le sang, la présentation criminelle des FTP sanguinaires. 2vocation des noms à consonnances étrangères : les nazis veulent les présenter comme antipathique parce qu'ils sont étrangers mais pour Aragon ils sont indubitablement Français. Pour Aragon, l'Affiche ne sert qu'à effrayer car elle est pauvre en arguments et montre l'aspect primaire de la propagande qui cherche les reflexes de rejets. Aragon exprime clairement son engagement à la cause des Résistants et les présente comme des martyrs.

    6 ) Références temporelles et spatiales ?

    "onze ans" : Seconde Guerre Mondiale et occupation nazie en France. Le temps passe vite et il ne faut pas oublier: appel au souvenir. "le jour durant" : la lumière, les Français semblent indifférents. "couvre-feu" : obscurité, la solidarité et la reconnaissance sont secrètes. "Fin février" : arrestation et exécution des FTP. "les mornes matins", "vos derniersmoments" et "couleur uniforme du givre" : évoque le mois de février, froid et brumeux, soulignée dans une atmosphère pénible et sombre : morosité et ambiance sinistre.
    "les murs de nos villes" : le pluriel souligne que ces nombreuses affiches sont placardées partout en France.

    7 ) Comment est présentée l'attitude des Français ?

    "les passants", "nul ne semblait", "les gens (...) sans yeux pour vous", "des doigts errants" : Aragon présente une masse anonyme et et indéfinie ("des") qui semble indifférente le jour. "MAIS" au vers 13 souligne l'opposition la nuit : la masse bascule dans la solidarité et se relève : la "peur" (v. 10) disparaît. Inscrire "MORTS POUR LA FRANCE" est un acte de résistance et de soutien. La nuit se tient l'insurrection et montre l'échec de l'Affiche.

    8 ) Comment l'auteur s'insurge-t-il contre l'Affiche ?
    L'Affiche rouge présente les FTP comme des criminels à abattre car ils sont sanguinaires et terroristes. Aragon, v. 1 & 2 les montre modestes. v. 5 : le courage ; v.6 & 7 : ce sont des combattants pugnaces et ordinaires (héros modestes) ; v.11 : ils sont oubliés et anonymes. Dans la dernière strophe Aragon appelle au souvenir : le devoir de mémoire s'impose.

    9 ) Quel est le sens de la lettre ?

    Par cette lettre, Aragon donne la parole à Manouchian, au partisan qui va être fusillé : il est humain et non criminel, il fait part de ses émotions et de ses convictions. répétition de "Adieu". Champ lexical du bonheur et de la nature ("bonheur", "plaisir", "heureux" & "lumière", "vent", "un grand soleil d'hiver éclaire") . Il regrette d'être fusillé mais il n'éprouve aucune haine. L'amoour et la paix s'opposent à la haine et la guerre. Cette lettre est la réécriture poétique d'une véritable lettre écrite par Manouchian à sa femme mais elle s'adresse aussi à ceux qui vont survivre. Impératif et temps du futur : il d"livre un message d'avenir et d'espoir "le Bonheur", "la justice" et "nos pas triomphants". C'est en quelque sorte une réponse à l'Affiche : l'accusé se défend en exprimant paix et amour qui s'opposent radicalement à l'agressivité de l'Affiche. A l'aspect criminel s'oppose l'aspect humain.

    10 ) Comparaison des deux premières strophes et de la dernière ?

    le "vous" devient "ils". la première strophe : appel au souvenir, description et éloge des partisans. A la fin, c'est l'ouverture universelle qui apparaît : valeurs communes de justice, d'amour et de paix. Les hommes se sacrifient pour la paix et la liberté de toute une communauté, c'est un sacrifice qui change le monde. On passe également de l'anonymat des premiers vers "nul ne semblait vous voir" à un nombre précis martelé "vingt et trois"Les FTP soit-disant criminels prennent un visage différent : ils sont patriotes (opposition "étrangers" et "nos frères") ils deviennent Français car ils sont des martyrs et courageux.

    11 ) Comment l'auteur justifie-t-il le titre de son poème ?

    C'est un thème récurrent de la poésie engagée que d'appeler au devoir de mémoire. "onze ans déjà que cela passe vite" : au moment de l'écriture, le souvenir de la guerre s'efface et également le souvenir de la Résistance. La poème se veut une oeuvre de mémoire. L'Affiche représente à jamais les oubliés de l'Histoire. Aragon les réhabilite. L'importance du temps qui passe (répétition de "onze ans", adverbes "vite" et "déjà", absence de ponctuation) Il faut lutter contre l'oubli et marquer les esprits. La dernière strophe s'assimile à une épitaphe.

    Conclusion : Aragon remplit toutes les contraintes du poème engagé et l'adresse au plus grand nombre. Il se détache du surréalisme pour être plus accessible et toucher. Il en revient à une forme plus traditionnelle. Il évoque tous les symboles de la Liberté et du combat pour celle-ci. Combat mené par des hommes généreux et non criminels.

  • Ce coeur qui haïssait la guerre...

    Robert DESNOS, Ce coeur qui haissait la guerre

    Petit rappel sur la poésie engagée :
    - Le poète engagé prend conscience de son appartenance à une communauté et à son temps. Il renonce à devenir spectateur pour s'engager et devenir acteur : il met sa pensée et son art au service d'une cause.
    - La poésie engagée est ancrée dans la réalité et dans l'Histoire : elle comporte donc des références spatiales et surtout temporelles concrètes et vérifiables.
    - Dans une démarche argumentative, elle utilise des symboles, des personnifications, des allégories...
    - Le but du poète engagé est de révéler la réalité, témoigner, dénoncer, transmettre un message d'espoir, persuader le lecteur d'adhérer à une cause, défendre des valeurs universelles, inciter à l'action, appeler au souvenir...
    - Pour cela, le poète veut toucher le lecteur : - susciter une émotion, une indignation... - toucher son esprit : le faire réfléchir...

    1 ) Indices de l'énonciation :
    "je", "me", "le mien" (au milieu du texte, fin de la première strophe) : le poète tient un discours, s'adresse au lecteur, à un auditoire (impératif " Ecoutez ") ! Le démonstratif "ce" semble impliquer le coeur du poète. Le narrateur apparait au coeur du texte puis semble s'évanouir parmi des "millions d'autres coeurs" tout en s'y comparant.

    2 ) Passage d'un sentiment individuel à un sentiment collectif :
    " les échos", "d'autres coeurs battant comme le mien" : le poéte est en union avec ces "autres coeurs" dans un même mouvement vers la liberté. Progression : " ce coeur", "ces coeurs", "ces millions d'autres coeurs" (gradation): on est dans un mouvement d'amplification. Le passage du singulier au pluriel entre le premier et le dernier vers souligne l'importance de l'aspect collectif.

    3 ) Le poème bâti sur des répétitions :
    " ce coeur qui haissait la guerre", "ce coeur qui ne battait plus", "ces coeurs qui haissaient la guerre" (anaphore "ce coeur qui..."): des répétitions, des parallelismes, un refrain s'installe, une structure identique est répétée au premier et au dernier vers. On peut remarquer l'imprtance du symbole du coeur : il représente la vie et les sentiments (l'amour/la haine, la vie/la mort). Enfin, nous pouvons remarquer un polyptote des dérivés du verbe battre : bat, combat, bataille, battait, battant...
    Les mots et les structures répétés prennent une force qui exprime la révolte collective

    4 ) Le vers qui reprend la thèse de l'auteur :
    "Révolte contre Hitler et mort à ses partisans" : vers le plus bref, le plus percutant.
    Message clair et résolution du dilemme : il faut se révolter et s'armer même si l'on est pacifiste pour reconquérir sa liberté : "mot (...) Révolte" et "même mot Liberté". Valeurs qui unissent et rassemblent. implicitement, Desnons appelle les valeurs fondamentales de la République (le texte paraît un 14 Juillet). Il faut redonner espoir aux compatriotes : rébellion et résistance.

     

    5 ) Caractère argumentatif :
    La poésie engagée a une valeur argumentative : quels sont ces caractères dans ce texte ? Connecteurs logiques : "mais non" (dénégation) ; "pourtant", "mais" (l'objection), "et" (l'adjonction), "car" (explication). Le poète est dans une démonstration mais la thèse est implicite: "haïr la guerre" opposé à "se battre pour la paix".
    Le poète semble tenir un discours de chef de guerre, il remonte ses troupes avant l'assaut.

    6 )Temps verbaux :
    Deux temps dominent le texte : le présent et l'impaarfait : en particulier sur un verbe réccurent : battre.
    L'imparfait exprime plutôt la paix et évoque les battements du coeur qui ponctuent la vie ; le refus du combat. 
    Le présent prend l'aspect de la constation et de l'observation : c'est le temps de la guerre et de l'engagement, le poète s'affirme et élargit sa volonté à la collectivité.
    7 ) Musicalité et technique poétique :
    Il ya des mots-clés recurrents : "coeur", "battre", "marées", "saisons" : aspect cyclique qui s'accélère dans les énoncés au présent et ralentit à l'imparfait. L'oxymore "coeur/haïr" exprime un dilemme. Allitération au vers 1 en -ba souligne la dureté du combat. Le mot d'ordre semble une phrase de propagande. Le corps est comparé à une machine de guerre ( "un bruit dans la cervelle", "oreilles qui sifflent", "sang brûlant de salpêtre et de haine", "pour la même besogne tous ces coeurs", "leur bruit"). Vocabulaire choisi : "réveiller", "se préparer", "l'aube proche" : la libération arrive. Hyperbole "la mer à l'assaut des falaises" : la mer déchaînée compare la communauté. Un vocabulaire violent : militaire et guerrier. L'importance de la dimension collective : ville, campagne, France, Français, millions...)

     

    8 ) Ponctuation, tonalité et structure :
    Ni rime ni vers réguliers. Alternance d'énoncés courts et d'énoncés longs. Phrases exclamatives. Ensemble qui exprime un mouvement de va-et-vient identifiableà un battement de coeur. Rapide et court, long et ample : rythme cardiaque sous l'émotion ! ("rythme des marées, rythmes des saisons")
    Tonalité lyrique : présence du "je", implication du locuteur mais peu exprimée dans la longueur du texte. Utilisation de la modalisation : expression des sentiments, des doutes et des opinions du narrateur : il est sensible à ce qu'il énonce et le fait savoir au lecteur. Il fait part de son émotion.

    9 ) Champs lexicaux :
    la nature : "saisons", "marées", "jour", "nuit", "heures" : les cycles de la vie.
    rythmes et sons : "bruit", "écho", "sifflent", "son d'une cloche" : l'appel universel à la révolte.
    la vie organique : "sang", "cervelle", "veines", "oreilles", "coeurs" : le corps dans une présentation crue et naturelle.
    le combat : un polyptote : "bat", "combat", "bataille", "battait", "battant"... impressionde martèlement dans une connotation guerrière renforcée par un vocabulaire de révolte : "guerre", "salpêtre", "émeute", "assaut", "révolte", "vieilles colères".

    Conclusion :

    Ce poème clandestin paru le 14 Juillet 1943 incite clairement à la Résistance armée et au combat. Il semble plaider pour une humanité libre et pour une lutte indiscutable pour la paix. Il faut haïr la guerre mais ne pas hésiter à utiliser ses méthodes pour s'en libérer. Le poète semble résoudre le dilemme initial : même placé devant un choix difficile, rien ne peut s'opposer à la Liberté.

  • Le lac, Lamartine.

    Le Lac, Alphonse de Lamartine, ( 1790 - 1869 ), Méditations Poétiques ( 1820 )

    Lecture analytique

    Les Méditations Poétiques ( 1820 ) développe des thématiques de la solitude et de la mélancolie : phénomène nouveau dans la littérature française du XIXème siècle. Cet ouvrage est tout de suite perçu comme un véritable manifeste romantique, une nouveauté qui plaît car l'expression de sentiments personnels et intimes est encore inédite. Le thème de la nature, associé à une sensibilité profonde exprimés sur une tonalité élégiaque qui parcourent l'oeuvre, et Le Lac en est une illustration évidente.

    Ce texte révèle un poème d'amour, une certaine détresse devant la fuite inexorable du temps ainsi qu'un certain sentiment de la nature. " Je suis le premier qui ai fait descendre la poésie du Parnasse et qui ai donné à ce qu'on nommait la Muse, au lieu d'une lyre à sept cordes de convention, les fibres mêmes du coeur de l'homme, touchées et émues par les innombrables frissons de l'âme et de la nature " ( Préface, Méditations Poétiques ).

    Composition du texte : 16 strophes de 4 vers distribués en : 3 alexandrins et un vers de six pieds.
    rimes croisées (abab)

    Poème inspiré par Madame Charles qui était sa maîtresse rencontrée au bord du lac du Bourget.

    Nous pouvons nous poser plusieurs questions à la première lecture de ce texte et dégager les principaux thèmes et différents mouvements de ce poème :

    Enonciation : " ô lac " ; " ô temps " ; " ô lac ! rochers muets ! grottes ! forêt obscure " ; " eternité, néant, passé, sombres abîmes, " : le poète s'adresse d'abord au lac, il apostrophe également le " temps " et prend à témoin la nature toute entière (nature austère et immuable) qui devient la confidente de l'homme et recueille sa plainte, il exprime son angoisse devant le Temps inéluctable et destructeur.

    Tonalité tragique et élégiaque : expression tourmentée de sentiments mélancoliques dans un registre lyrique : le lecteur est invité à partager l'inquiétude du poète (exclamations et interrogations insistantes ; le vocabulaire choisi est expressif et les figures sont frappantes, la musicalité est très rythmée).

    Ce poème peut être défini comme appartenant au domaine de l'élégie par plusieurs points : l'amour brisé est ravivé par son souvenir ; on y trouve les élans de l'âme et du coeur sur le mode de la prière et de la plainte. Les sentiments sont d'abord l'inquiétude, célébration de l'amour puis l'angoisse et la plainte.

    Le champ lexical du temps renforce ce sentiment d'obsession du temps.

    vers 1 : " Ainsi " : le poème commence par une impression de conclusion de rêverie ou de réflexion profonde.
    vers 3-4 : " océan des âges " : métaphore du temps qui évoque son vaste infini ; l'homme est livré à ses flots malgré lui et ne peut jamais l'arrêter.
    vers 5 : " ô lac ! " : personnification du lac : il devient le confident du poète sur le ton de la plainte et lui fait part de sa solitude.
    vers 9 : " tu mugissais ainsi sous ses roches profondes " : en plus d'être austère et abrupte, la nature est immuable malgré le temps qui avance et emporte tout, au contraire de l'homme qui constate les changements du coeur et les douleurs qui l'accompagnent. Allitération en {ss} qui semble prolonger la plainte.
    vers 12 : " ses pieds adorés " : rupture dans la strophe : le poète nous fait passer de la rigueur de la nature à la douce évocation d'un être aimé et disparu : le vers à six pieds souligne le constrate par sa position finale dans la strophe, il insiste sur la délicatesse de l'être perdu.
    vers 15 : " Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence " : rythme du vers ponctué de la consonne {k} évocateur du clapotis des rames dans l'eau, de manière symétrique ( position 1, 7 et 10 ) ce qui a pour effet de renforcer l'impression d'intimité, et d'une certaine perfection dans le bonheur de l'instant vécu ( "silence", "cadence", "harmonie").
    vers 17 : "tout à coup" : le poète nous entraîne dans un nouveau mouvement, le bonheur est interrompu par une supplication développée dans la strophe suivante, l'ambiance paisible se détériore.
    vers 20 : " laissa tomber ces mots " : l'être perdu souffre et délivre avec difficulté des mots poignants.
    strophe 6-7-8-9 : rien n'arrête le temps et l'homme ne peut pas lutter contre son destin : il doit plier devant la fuite implacable du temps. Les rythmes et le vocabulaire renforcent ce sentiment tragique d'impuissance et de douleur ; l'homme passe, la vie s'écoule, le temps et la mort emportent tout et les êtres aimés disparaissent.
    Le temps passe et nous offre différents points de vue sur la condition humaine : le futur de la strophe 1 exprime une interrogation intime et à la fois universelle, sur un ton lyrique ; le présent c'est l'observation générale et la constation face à l'impuissance d'un temps qui ravit tout, aussi bien bonheur qu'être aimé ; l'imparfait c'est l'expérience vécue et le regret du bonheur perdu, Le souvenir évoqué fait revivre ce bonheur et la confession au lac permet au poète de cristalliser ces moments fugitifs, les rendre enfin éternels.
    vers 40 : " eh quoi " : les tournures des phrases interro-négatives insistent sur la douleur du poète et son impuissance. Nouveau mouvement dans la progression du poème : la souffrance devient violente.

    Le sentiment de la nature également incarne et recueille les états d'âme du poète livré sur le mode de la plainte mélancolique. La nature devient porteuse de charge affective et un espace spirituel dans lequel le souvenir se réactive car elle est considérée comme une amie. Les paysages immobiles et impérissables, cadres témoins de l'émotion du poète, font revivre les instants fugitifs et les conservent à jamais.

    Une véritable méditation interrogative et philosophique transporte le discours d'Elvire et prolonge sa plainte:
    vers 34 : " Hâtons-nous, jouissons !" : conclusion totalement épicurienne (carpe diem) : l'homme ne peut pas fixer le temps, l'éternité lui est refusée, et il faut saisir le plaisir fugitif.
    vers 38 : " où l'amour à longs flots nous verse le bonheur " : perfection dans l'accord du fond et de la forme, une certaine force et une magie se dégagent du tour utilisé.
    strophe 11 : accents de la douleur du poète avec l'emploi interro-négatif et aussi la répétition (anaphorique) de "quoi" : le rythme s'accélère et devient haletant. L'angoisse de l'homme est profonde et se traduit par des enchaînements et le mouvement rapide de la strophe.
    vers 45 : " sombres abîmes " : apposition des éléments du temps : encore une fois le poète exprime une certaine peur effrayée face au temps tout-puissant et qui ne rend jamais rien ( image renforcée au vers 48 : " que vous nous ravissez" )strophe 13-14 : structure de répétition anaphorique dans la continuité angoissante des émotions et interrogations du poète (contraste et sentiment poignant de la nature)
    Remarquons la périphrase classique vers 58 pour désigner la lune : " l'astre au front d'argent "
    vers 64 : c'est la conclusion du poème : " ils ont aimé " : l"amour vainqueur et éternel. Passé composé : accompli du présent.

    Nous retrouvons dans ce texte de Lamartine les thèmes lyriques classiques : l'amour perdu, la fuite inéxorable de l'amour, la plainte et la prière du poète, le deuil de l'amour intense sur un ton élégiaque.

  • La courbe de tes yeux

    "La courbe de tes yeux..." de Paul ELUARD ( 1895-1952 )

    Capitale de la douleur est paru en 1926 ; c'est son recueil poétique le plus important empreint d'un lyrisme puissant et très personnel ( c'est la pleine période surréaliste ).
    C'est un poème d'amour ( thème lyrique traditionnel ) Sa femme est Gala, elle vient d'accoucher: ce texte aborde le bonheur d'aimer et le partage de cet amour.

    Questions d'observation et d'intérêt du texte :

    1 ) Quelle est la forme du poème ? ( strophes, mesure des vers, rimes ) Conclusion ?
    3 quintils, alexandrins et décasyllabes et octosyllabes.
    rimes d'abord régulières puis aléatoires...
    => les règles classiques ne sont pas vraiment respectées : par la fantaisie de la construction le poète se libère des contraintes classiques mais semble les respecter ( Surréalisme... )

    2 ) La ponctuation ?
    Peu de ponctuation : beaucoup de virgules.
    => Souplesse dans la construction, touche fantaisiste.

    3 ) Combien y a-t-il de phrases ?
    Seulement deux phrases : la première correspond à la première strophe, la deuxième aux deux dernières strpohes. Ce sont donc des phrases longues.
    => Le poète semble s'amuser et recrée à sa manière une forme nouvelle et inégale.

    4 ) Qu'apporte l'observation des pronoms personnels ? des possessifs ?
    " je "; "j'" ; "m'" => dénote une certaine passivité du narrateur, dans des phrases au passé.
    "tes" ( x 3 ) ; "mon" ( x 2 ) => les yeux semblent enlacer le narrateur, l'envelopper.

    5 ) Observons les groupes nominaux.
    => il y a de nombreuses appositions. => une longue énumération d'éléments, un jaillissement d'images.

    6 ) Qui parle à qui ?
    " je " parle à tu ; le poète s'adresse à son inspiratrice...
    => c'est une apostrophe qui oscille entre la prière et l'hymne religieux, la louange !

    7 ) Quels grands thèmes se dégagent ?
    l'amour, le regard, la nature et le monde, le temps...
    => thèmes lyriques traditionnels et modernes.

    8 ) Quels champs lexicaux dominent le texte ?
    forme géométrique circulaire, le temps, la nature et les quatre éléments, le regard, la naissance, la lumière, la pureté,l'appel aux sens...
    =>le poète donne un aspect sacré à la gloire de cet amour ; il fait appel à tous les sens pour appréhender le monde, il semble le découvrir : il semble venir au monde ( importance de la lumière, nature printanière qui se colore...)

    9 ) Quelle analyse pouvons-nous tirer des éléments relevés et des procédés rhétoriques ?
    L'évocation de la douceur et d'une certaine pureté permet une connotation maternelle ( la forme arrondie domine le texte ) : la femme met au monde mais en plus le monde ne passe que par ses yeux qui en deviennent le reflet. Elle devient une véritable source de vie. Le monde s'ouvre et se révèle ; le poète évoque un paradis tranquille et sûr.
    => la dernière phrase ( = deux dernières strophes ! ) est composée d'une succession d'images et de métaphores qui révèlent une envolée lyrique : la voix du poète semble ne plus pouvoir s'arrêter. Nous observons également une certaine gradation dans les éléments du champ lexical de la nature ( le poète mentionne la feuille tout d'abord et termine par les astres ) qui vient annoncer la substance du monde et son jaillissement.

    10 ) A l'analyse du premier et du dernier vers, que pouvons-nous dire ?
    Le dernier vers reprend le premier : on peut remarquer un chiasme entre ces deux vers ( répétition et inversion ) ce qui renforce l'effet de symétrie et l'idée de reflet. Les deux derniers vers dénotent une certaine harmonie mystérieuse et intime.
    Ces deux vers peuvent se lire liés et sans rupture de sens : ils reprennent l'ensemble du poème.

    11 ) Bilan
    Ce poème est un poème d'amour, un chant de louange à la femme aimée : il rappelle fortement le blason du XVIIème siècle ( petit poème qui célébrait la beauté de la femme par la description d'un détail physique et anatomique ). L'homme ne vit que par la femme, le monde dépend d'elle et son regard permet l'ouverture à l'univers.

  • Alcools

    Alcools, APOLLINAIRE

    Contextes :

    La Belle-Epoque (de 1900 à 1914) en Europe, c'est la montée des tensions politiques avec les populismes, les crises balkaniques, les crises coloniales et les alliances entre nations. On assiste à de nombreuses innovations techniques : la première ligne de métropolitain à Paris en 1900, les débuts de l'aviation, la généralisation de l'électricité, le développement des automobiles, le cinéma se répand, expansion de la presse et de la publicité (les réclames) , séparation de l'Eglise et de l'Etat en 1905, tensions sociales et condition ouvrière difficile, Exposition Universelle à Paris en 1900, la même année c'est la parution de L'Interprétation des rêves de S. Freud, Einstein et les Curie...
    En peinture, on est dans la continuité des révolutions technique et culturelle et dans l'affranchissement des règles académiques, grâce à la naissance du Fauvisme, de l'Expressionnisme et du Cubisme (Picasso, Braque, l'art abstrait et non figuratif, le naïf avec le Douanier Rousseau...) puis plus tard Dada et le Surréalisme.

    Alcools (1913) devait d'abord s'intituler Eau-de-vie et rassemble des poèmes écrits entre 1898 et 1912. A la correction des épreuves, il décide d'en supprimer toutes les ponctuations : c'est une grande nouveauté et reste un ouvrage essentiel dans la poésie du XXème siècle. Il affirme à la même époque : " le rythme et la coupe des vers : voilà la véritable ponctuation". L'ordre des textes est varié et crée un effet de surprise : c'est une marque de la poétique d'Apollinaire. Il veut que son oeuvre soit ancrée dans la modernité et suit même l'influence cubiste de ses amis peintres (Picasso, Braque, Léger...) Cependant, par certains aspects, il coéxiste dans Alcools une certaine tradition poétique. ..

    Axes de réfléxion :

    1 - Le titre
    2 - Les origines
    3 - L'ordre des poèmes
    4 - Les cadres structurants
    5 - Héritage et modernité
    6 - Problématique des choix de lectures
    7 - Les visages du poète
    8 - La souffrance et la femme
    9 - Regards sur le monde
    10 - Formes de l'écriture et choix de construction